Mémoire au Comité permanent des finances de la Chambre des communes en vue du budget 2025
2 août 2024
L’Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale (ACMMSM) joue un rôle clé au Canada. Elle est porte-parole nationale en matière de santé mentale depuis sa création en 1992. L’ACMMSM réunit 18 organisations dédiées à la santé mentale et à la lutte contre les dépendances. Sa force réside dans sa diversité : elle inclut des personnes ayant une expérience directe, leurs familles, leurs aidants, ainsi que des professionnels de santé. Pour en savoir plus sur cette alliance cruciale, visitez leur site Web : www.CAMIMH.ca.
- Recommandations
- Que le gouvernement fédéral adopte une loi complémentaire à la Loi canadienne sur la santé, intitulée Loi sur la parité des soins en santé mentale et en toxicomanie pour tous. Cette nouvelle législation viserait à valoriser équitablement la santé mentale, la santé liée à la toxicomanie et la santé physique.
- Que l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) soit muni des ressources nécessaires pour travailler en collaboration avec les provinces et les territoires, ainsi qu’avec d’autres intervenants, afin d’élaborer : (1) une banque nationale de données sur les dépenses de santé publiques, communautaires et privées ; et (2) des indicateurs de performance complets du système de santé mentale et de toxicomanie.
- Que les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) accordent plus de fonds à la recherche sur la santé mentale et la toxicomanie.
Recommandation 1
Que le gouvernement fédéral adopte une loi complémentaire à la Loi canadienne sur la santé, intitulée Loi sur la parité des soins en santé mentale et en toxicomanie pour tous. Cette nouvelle législation viserait à valoriser équitablement la santé mentale, la santé liée à la toxicomanie et la santé physique.
Le Canada peine depuis longtemps à offrir des services de santé mentale et de désintoxication adéquats. Ces services manquent souvent d’accessibilité, d’équité, d’inclusivité et d’abordabilité. L’ACMMSM a mis en lumière cette situation préoccupante dans son deuxième Rapport annuel sur la santé mentale et la toxicomanie. Les résultats sont sans appel : les Canadiens attribuent une note d’échec cinglante aux gouvernements fédéral et provinciaux. Ils jugent leurs réponses aux besoins en santé mentale et en toxicomanie largement insuffisantes.[1]
L’enquête de l’ACMMSM révèle des attentes claires des Canadiens. Pour 90 % d’entre eux, l’accès rapide aux services de santé mentale publics est crucial. De plus, 83 % estiment que les provinces devraient recruter davantage de professionnels en santé mentale. Face à ces chiffres, une conclusion s’impose : en matière de santé mentale et de toxicomanie, l’inaction gouvernementale n’est plus tolérable.
Le système de santé canadien repose sur un partage des responsabilités. Les provinces et territoires gèrent principalement la prestation des soins. Cependant, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle crucial de leader. Son action est déterminante pour améliorer et élargir l’accès aux services de santé mentale et de toxicomanie.
L’annonce du Fonds pour la santé mentale des jeunes, doté de 500 millions de dollars, marque un progrès. L’ACMMSM salue cette initiative. Cependant, l’alliance exprime sa profonde déception face à deux décisions du gouvernement fédéral. D’abord, la fermeture du portail Mieux-être ensemble Canada, une ressource précieuse. Ensuite, l’abandon de la promesse du Transfert canadien en santé mentale (évalué à 4,6 milliards de dollars sur 5 ans).
Le gouvernement fédéral a promis 2,5 milliards de dollars par an pendant 10 ans aux provinces et territoires. Ces fonds visent quatre priorités, dont la santé mentale et la toxicomanie. Pourtant, l’analyse des ententes bilatérales révèle une réalité décevante. En moyenne, seuls 16 % de ces nouveaux fonds sont alloués aux services de santé mentale et de toxicomanie. Les écarts entre régions sont frappants : 75 % au Yukon, 25 % en Alberta, 24 % en Ontario. Plus inquiétant encore, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et la Colombie-Britannique n’y consacrent rien soit 0 %. Face à l’urgence de ces enjeux, cette situation est presque honteuse.[2]
Cette situation soulève encore plus d’inquiétudes au vu des données récentes. Les investissements publics du Canada en santé mentale ne représentent qu’environ 5 % des budgets de santé. Ce chiffre est bien en deçà des recommandations de la Société royale du Canada.[3] Celle-ci préconise un investissement de 12 %,[4] niveau qui rencontre l’approbation de l’ACMMSM.
Un leadership fédéral fort pourrait accomplir beaucoup. L’ACMMSM préconise une approche structurée. Elle propose un nouveau cadre législatif incluant un financement fédéral adéquat et pérenne. Ce cadre définirait des objectifs et responsabilités clairs : principes directeurs, indicateurs de performance, normes nationales. Les provinces et territoires devraient respecter ces critères pour bénéficier d’un financement continu.
Afin d’assurer une relation plus transparente et mutuellement responsable entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, l’ACMMSM continue de demander au gouvernement fédéral d’adopter une loi complémentaire à la Loi canadienne sur la santé appelée Loi sur la parité des soins en santé mentale et en toxicomanie pour tous.[5] Cette nouvelle Loi demanderait au gouvernement fédéral d’accomplir ce qui suit :
- Enchâsser l’égalité entre santé mentale, toxicomanie et santé physique. Cette loi garantirait l’offre de programmes, services et soutiens inclusifs et accessibles en santé mentale et toxicomanie. Elle assurerait également un accès rapide à ces ressources, leur accordant la même importance que les services de santé physique.
- Assurer un accès équitable à une gamme complète de services en santé mentale et toxicomanie. Ces programmes, financés par l’État et basés sur des preuves scientifiques, doivent être disponibles pour tous les Canadiens au moment et à l’endroit où ils en ont besoin. L’offre doit dépasser le cadre traditionnel des hôpitaux et cabinets médicaux (comme le stipule la Loi canadienne sur la santé.)
- Accorder aux provinces et territoires un financement fédéral approprié et durable afin d’élargir l’accès aux services de soins de santé mentale.
- Définir des responsabilités précises et des indicateurs de performance pertinents pour le système de santé national.
- Reconnaître l’importance fondamentale d’investir dans la promotion de la santé, la prévention, l’éducation, ainsi que dans les déterminants sociaux de la santé.
Pour concrétiser les objectifs de la Loi, un effort financier concerté s’impose. Le gouvernement fédéral doit s’engager à un investissement durable. Parallèlement, les provinces et territoires devront apporter un soutien financier complémentaire. Cette collaboration est essentielle pour garantir à tous les Canadiens un accès rapide aux soins de santé mentale et de toxicomanie. L’objectif est clair : fournir les services nécessaires au moment où la population en a besoin, sans délai excessif.
L’ACMMSM rejette fermement l’approche actuelle, jugée incohérente et inefficace. Elle dénonce l’absence de responsabilisation et l’incapacité à améliorer l’accès et la performance du système de santé mentale. Cette situation est d’autant plus alarmante que 23 % des Canadiens présentent des symptômes de dépression modérée à grave, et 15 % souffrent d’anxiété modérée à sévère.[6] De plus, 78 % des Canadiens considèrent la consommation d’alcool et de drogues comme un problème urgent. Quatre-vingts pour cent réclament un meilleur accès à l’information et aux services dans ce domaine pour améliorer leur bien-être à long terme. [7]
La résolution des inégalités dans les systèmes canadiens de soins en santé mentale et toxicomanie est urgente. Cette tâche, trop longtemps différée, exige une approche financière spécifique.
Recommandation 2
Que l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) soit muni des ressources nécessaires pour travailler en collaboration avec les provinces et les territoires, ainsi qu’avec d’autres intervenants, afin d’élaborer : (1) une banque nationale de données sur les dépenses de santé publiques, communautaires et privées ; et (2) des indicateurs de performance complets du système de santé mentale et de toxicomanie.
L’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) est le principal organisme de collecte de données sur la santé du pays. Ses travaux et analyses sont essentiels à la gestion, à l’évaluation et au suivi de nos systèmes de santé.
L’ICIS doit se doter d’un objectif et des moyens nécessaires pour évaluer l’ampleur des dépenses en santé mentale et toxicomanie. Cette analyse doit couvrir trois secteurs clés : public, privé et communautaire (sans but lucratif et caritatif). Cette démarche est cruciale alors que tous les paliers gouvernementaux cherchent à intégrer efficacement les programmes, services et soutiens en santé mentale et toxicomanie dans leurs systèmes de santé respectifs.
L’ICIS fait face à des défis majeurs dans la collecte de données sur les dépenses en santé mentale et toxicomanie. Actuellement, ses informations sont limitées. Elles concernent principalement les dépenses gouvernementales pour les hôpitaux et les médecins. Les données sur le secteur privé sont quasi inexistantes. Ce secteur inclut pourtant de nombreux professionnels : infirmières en psychiatrie, psychologues, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, conseillers et psychothérapeutes. Leurs services sont souvent financés par les assurances complémentaires des employeurs ou payés directement par les patients. Le suivi du financement dans le secteur communautaire pose encore plus de problèmes. Les méthodes de suivi des données varient entre provinces et territoires. De plus, les sources de financement intra-gouvernementales sont diverses. Cette situation rend difficile une vision d’ensemble cohérente. Il est évident qu’un travail considérable reste à accomplir pour améliorer la collecte et l’analyse de ces données essentielles.
Si l’ACMMSM reconnaît l’importance des données sur les dépenses publiques et privées comme « intrant » essentiel pour élaborer des politiques efficaces, elle n’en souligne pas moins la nécessité de mieux comprendre les « résultats » du système de santé mentale et de toxicomanie, tels que la qualité, l’accès et la satisfaction des patients-clients-fournisseurs. L’examen des accords bilatéraux fédéraux-provinciaux-territoriaux de 2023 révèle des lacunes inquiétantes : quatre provinces et territoires n’ont pas de données de base pour l’indicateur des « temps d’attente médians pour les services communautaires », et les objectifs proposés ailleurs sont modestes.[8] On est loin du résultat souhaité. L’ACMMSM insiste donc sur l’importance de mesurer pour mieux gérer et préconise un ensemble plus solide d’indicateurs nationaux avec des repères et des objectifs clairs en santé mentale et toxicomanie.
L’ACMMSM souligne une lacune majeure dans les données du système de santé : l’absence d’informations complètes sur la main-d’œuvre en santé mentale et toxicomanie. Actuellement, les planificateurs manquent de visibilité sur le nombre et la composition des professionnels dans ces domaines au Canada. L’ACMMSM accueille favorablement la création d’Effectif de la santé Canada. Cet organisme s’engage à identifier et analyser en profondeur le secteur de la main-d’œuvre en santé mentale et toxicomanie. L’ACMMSM se dit prête à partager ses connaissances et son expertise pour soutenir cette initiative cruciale.
Recommandation 3
La pandémie a révélé l’ampleur des défis en santé mentale et toxicomanie au Canada. Ces problèmes affectent profondément la santé des Canadiens et persisteront probablement à long terme. Si la crise sanitaire a mis en lumière l’importance de la recherche biologique pour développer traitements et vaccins, elle a aussi souligné un besoin crucial : intensifier la recherche en santé mentale et toxicomanie. Cette recherche est essentielle pour comprendre l’impact psychosocial de la pandémie sur les individus, les familles, les travailleurs et l’économie.
La recherche en santé mentale et toxicomanie joue un rôle crucial. Elle guide les gouvernements, décideurs, prestataires de santé, éducateurs et acteurs économiques. Ses résultats permettent d’élaborer des politiques et programmes efficaces. Ces initiatives visent deux objectifs majeurs. D’abord, assurer un rétablissement durable post-COVID-19. Ensuite, aider les Canadiens à réaliser leur plein potentiel, tant individuel que collectif. Cette approche contribue ainsi à la prospérité future du Canada et renforce sa compétitivité économique.
La recherche est vitale pour un système de santé basé sur les preuves. Elle génère de nouvelles connaissances et stimule l’innovation. Au Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) jouent un rôle central dans le financement de la recherche en santé. Cependant, leurs investissements dans la recherche sur la santé mentale et la toxicomanie restent modestes. Malgré cela, les IRSC ont récemment pris des initiatives importantes dans ce domaine.
Les Instituts de recherche en santé du Canada n’ont alloué que 9 % de leurs fonds à la santé mentale entre 2016 et 2021.[9] Ce chiffre est bien en deçà des 24 % d’années de vie d’invalidité causées par les troubles mentaux, neurologiques, la toxicomanie et l’automutilation. La recherche doit aussi mieux intégrer les facteurs biologiques et psychosociaux. Un effort supplémentaire s’impose pour atteindre la parité dans ce domaine.[10]
L’ACMMSM a accueilli favorablement les hausses pluriannuelles du financement fédéral alloué aux trois conseils dans le budget 2024. Ces investissements majeurs peuvent stimuler la découverte et l’innovation. Il est maintenant crucial de garantir à la communauté de recherche en santé mentale et toxicomanie sa juste part.
[1] Les Canadiens donnent aux gouvernements une note d’échec, ou « F », pour leur réponse aux besoins en matière de santé mentale et de toxicomanie : Sondage de l’ACMMSM. 18 janvier 2024. https://www.camimh.ca/_files/ugd/db0d0e_e142574173a04142b3c4931440e77922.pdf.
[2] ACMMSM. Does the federal rubber hit the provincial-territorial road? Prochain rapport à paraître.
[3] Institute for Health Economics. IHE Mental Health In Your Pocket—A Handbook of Mental Health Statistics (2019).
[4]Société royale du Canada. Atténuer les perturbations engendrées par la pandémie de la COVID-19 : comment soutenir la santé mentale de la population canadienne. Octobre 2020.
[5]ACMMSM. De l’ombre à la lumière : Atteindre la parité d’accès aux soins entre la santé mentale, la toxicomanie et la santé physique. Juin 2021.
[6]Recherche en santé mentale Canada. Comprendre la santé mentale autoévaluée de la population canadienne au cours de la pandémie de COVID-19 : Sondage n° 16. Mai 2023.
[7] Community Addiction Peer Support Association/Centre canadien de toxicomanie et de toxicomanie. Connaissances sur la santé liée à la consommation de substances et les services connexes au Canada. 2023
[8] ACMMSM. Does the federal rubber hit the provincial-territorial road? Prochain rapport à paraître.
[9] F Dzierszinski, I Arnold, K Gillis, C Brown, C Carruthers. Le sous-financement de la recherche innovante en santé mentale : un appel à l’action. Revue canadienne de psychiatrie. Vol. 68(5), 312-314.
[10]Société royale du Canada. Atténuer les perturbations engendrées par la pandémie de la COVID-19 : comment soutenir la santé mentale de la population canadienne. Page 10.